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Le Zénisme moderniste,

L'intérêt suscité dans les pays occidentaux par le Zen résulte d'une réaction compréhensible contre la grossièreté et la laideur, et aussi d'une certaine lassitude à l'égard de concepts jugés inopérants - à tort ou à raison - et des logomachies philosophiques habituelles ; mais il s'y mêle facilement des tendances anti-intellectuelles et faussement "concrétistes", - il fallait s'y attendre, - ce qui enlève à cet intérêt toute valeur effective ; car autre chose est de se situer au-delà du mental, et autre chose est de demeurer au-dessous de ses possibilités les plus élevées, en s'imaginant avoir "dépassé" ce dont on ne comprend pas le premier mot...

Si le Zen est moins doctrinaire que d'autres écoles, c'est que sa structure le lui permet ; il doit sa continuité à des facteurs parfaitement rigoureux, mais difficilement saisissable du dehors ; son silence, chargé de mystère, est bien autre chose que du mutisme vague et commode. Le Zen, précisément à cause de son caractère direct et implicite, - lequel s'adapte à merveille à certaines possibilités de l'âme extrême-orientale, - présuppose tant de conditions de mentalité et d'ambiance, que le moindre manque à cet égard risque de compromettre tout effort même sincère ; au demeurant, il ne faut pas oublier que le Japonais d'élite est lui-même, à bien des égards, un produit du Zen. [Images de l'Esprit, p. 161-162].

Ce que le Zen veut, c'est la récupération surnaturelle de la perception des choses sub specie aeternitatis ou dans l' "Éternel Présent"; sans pouvoir ni devoir sortir de la relativité, l'esprit se trouve désormais enraciné dans l'Absolu, existentiellement et intellectuellement à la fois. Mais le Zen comporte également une autre dimension, complémentaire de la première : c'est l'aspect "simplicité" ou "équilibre", le retour à la nature primordiale. Le complément de la foudre et de l'éclatement, ou du satori, est la paix dans la nature des choses, telle qu'elle se révèle dans le calme de l'étang reflétant la lune, ou dans la grâce pour ainsi dire contemplative du nénuphar, ou encore dans l'élégance calme et précise de la cérémonie du thé.

La sobriété naturiste et quelque peu iconoclaste du Zénisme n'est pas un vain luxe : qui veut ramener l'esprit humain à l' "intuition d'Éternité" pour laquelle il est fait, et qu'il a perdu par sa déchéance, - sa curiosité dispersante et sa passion compressive, - doit également ramener l'âme et le corps à leur simplicité primordiale en les débarrassant des superstructures factices de la civilisation (1). L'un ne va pas sans l'autre : il n'y a pas de contenu sans contenant adéquat ; la perfection de l'éclair appelle celle du lotus.

(1) La position de la méditation zéniste, le zazen, est révélatrice à cet égard : droiture et immobilité ; équilibre entre l'effort et le naturel. Le Zen a développé une "culture du geste" qui s'étend à divers métiers, y compris celui des armes, et aussi à toutes sortes d'activités décoratives et plus ou moins féminines, et qui est l'antipode du débraillé sincériste et faussement "naturel" de notre temps.

Nous ne sommes pas aristotélicien, mais il va de soi que nous préférons mille fois Aristote à un Zen falsifié et coupé de ses racines, et privé ainsi de sa raison d'être et de son efficacité ; si nous y insistons ici, c'est parce qu'en Zénisme moderniste on perd volontiers de vue que le Zen est "ni avec ni sans formes" et qu'il comporte notamment, à côté de l'introspection rigoureuse et de ce que nous pourrions appeler le culte de la vacuité, une attitude de dévotion, d'humilité et de gratitude, du moins a priori, laquelle lui est commune avec toute spiritualité digne de ce nom.

En tout état de cause, une méthode spirituelle n'est pas une chose librement disponible : dans la mesure même où elle est subtile ou ésotérique, elle se mue en poison quand elle n'est pas pratiquée dans le cadre des règles canoniques, donc "au nom de Dieu" comme on dirait en Occident ; dans le cas du Zen, ce cadre est avant tout le ternaire "Bouddha-Loi-Communauté" (Buddha-Dharma-Sangha). Le Zen est fonction de tout ce qu'implique ce ternaire, ou il n'est pas.(2)

(2) Aussi n'y a-t-il aucun rapport entre le Zen et les théories d'un Jung ou d'un Krishnamurti, ou un autre psychologisme quelconque.

Prâjnâ étant la synthèse des cinq autres pâramitâs, le Mahâyâna se réduit en principe à prajnâ, c'est-à-dire que l'union intérieure avec le "Vide" transcendant pourrait en principe suffire comme viatique spirituel ; mais en fait la nature humaine est contraire à l'unité et à la simplicité, la méthode de régénération devra donc tenir compte de tous les aspects de notre emprisonnement samsârique, d'où la nécessité d'une voie qui, tout en présentant d'emblée un élément d'unité et de simplicité, va du multiple à l'un et du complexe au simple (3).(Forme et substance dans les religions p. 123.)

(3) C'est ce que ne veulent pas comprendre - soit dit en passant - les pseudo-zénistes ni les pseudo-védantistes, qui s'imaginent pouvoir escamoter notre nature par des réductions mentales aussi prétentieuses qu'inefficaces.

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