Le néo-yoguisme, le réalisationnisme,
Croire, comme le font certains "néo-yoguistes", que l' "évolution" produira un surhomme "qui différera de l'homme autant que celui-ci diffère de l'animal, ou l'animal du végétal", c'est ne pas savoir ce qu'est l'homme : c'est encore un exemple d'une pseudo-sagesse qui se croit bien supérieure aux religions "séparatistes", mais qui, en fait, est plus ignorante que le catéchisme le plus élémentaire. Car le catéchisme le plus élémentaire sait ce qu'est l'homme ; qu'il s'oppose, par ses qualités, et comme un monde autonome, à l'ensemble des autres règnes de la nature ; que sous un certain rapport, - celui des possibilités spirituelles, non celui de l'animalité, - la distance entre le singe et l'homme est "infiniment" plus grande que celle qu'il y a entre la mouche et le singe. Car l'homme seul peut sortir du monde ; l'homme seul peut retourner à Dieu et c'est là la raison pour laquelle il ne peut en aucune manière être dépassé par un nouvel être terrestre. L'homme est l'être central parmi les êtres terrestres ; c'est là une position absolue ; il ne peut pas y avoir de centre plus central que le centre, si les définitions ont un sens.
Ce néo-yogisme, comme d'autres mouvements analogues, prétend pouvoir ajouter une valeur essentielle à la sagesse des ancêtres ; il croit que les religions sont des vérités partielles qu'il est appelé à coller ensemble, après des siècles et des siècles d'attente, et à couronner de son petit système naïf.
La misère intellectuelle des mouvements néo-yoguistes fournit la preuve irrécusable qu'il n'est pas de spiritualité sans orthodoxie. Ce n'est certes pas par hasard que tous ces mouvements sont comme ligués contre l'intelligence ; celle-ci est remplacée par une pensée qui est faible et vague au lieu d'être logique, et "dynamique" au lieu d'être contemplative. Tous ces mouvements se caractérisent par le détachement qu'ils affectent à l'égard de la doctrine pure, dont ils haïssent l'incorruptibilité ; car cette pureté est pour eux "dogmatisme"; ils ignorent que la Vérité ne nie pas les formes de l'extérieur, mais les transcende de l'intérieur. (Perspectives spirituelles et faits humains, p. 150-151).
... la foi comme l'intelligence peuvent se concevoir chacun à deux niveaux différents : la foi en tant que certitude quasi ontologique et prémentale est supérieure à l'intelligence en tant que pensée discernante et spéculative (1), mais l'intelligence en tant que pure intellection est supérieure à la foi en tant que simple adhésion sentimentale...
(1) Cette foi supérieure est tout autre chose que la facilité irresponsable et arrogante des improvisateurs profanes de Zen ou de Jnâna, lesquels entendent brûler les étapes en se privant du contexte humain essentiel de toute réalisation ; alors qu'en Orient, et dans les conditions normales d'ambiance éthique et liturgique, ce contexte est largement donné par avance. On n'entre pas chez un roi par la porte de service. (Logique et transcendance, p. 227).
Le fait qu'il arrive trop fréquemment aux Hindous anglicisés, et aussi à d'autres Asiates, de citer dans un même souffle des noms comme Jésus et Gandhi, Shankara et Kierkegaard, Bouddha et Goethe, la Sainte Vierge et Mrs. X., ou d'affirmer que tel musicien allemand était un yogî ou que la Révolution française était un mouvement mystique, etc. etc., - ce fait, disons-nous décèle une ignorance totale de certaines différences de niveau pourtant capitales, - nous parlerions volontiers de différences de "réalité", - de même qu'un étrange manque de sensibilité à cet égard ; il y a là aussi une tendance à la simplification, due sans doute à l'idée plus ou moins subconsciente que seule la "réalisation" compte et non la "théorie", d'où un mépris parfaitement déplacé et hautement inopérant du discernement objectif des phénomènes. ...
A part cette distinction [entre grande incarnation et incarnation mineure], il convient à plus forte raison de ne pas confondre le sacré et le profame, ni surtout le traditionnel et l'antitraditionnel ; il est inadmissible de confondre un "penseur" étranger à toute tradition, donc profane a fortiori, non seulement avec un saint, - qui relève par définition de la tradition et du sacré, - mais simplement avec une autorité traditionnelle ...Un exemple typique de déviation néo-hindouiste est le Swâmî Yogânanda, fondateur, aux Etats-Unis, d'une "Self-Realisation Fellowship" (SRF !), dont la présidente est - ou était - une Américaine. En revanche, nous retrouvons "le discernement des esprits" à un degré éminent chez un Coomaraswamy ... (Sentiers de gnose, p. 59, note 1).
Le "spiritualisme" moderne de l'Inde, qu'il se réclame de la bhakti ou du jnâna ou des deux à la fois, - sans parler de ceux qui croient faire mieux que les anciens sages, - ce "spiritualisme", disons-nous, se caractérise, non seulement par une confiance trop unilatéral en tels "moyens", mais avant tout aussi par le fait de négliger, avec une remarquable inconscience, les bases humaines, - le climat humain, si l'on veut, - dont l'intégrité ne se trouve que dans la tradition et le sacré.
Les "raccourcis" spirituels existent, certes, et ne peuvent pas ne point exister, puisqu'ils sont possibles ; mais se fondant sur une pure intellection d'une part et sur une technique subtile et rigoureuse d'autre part, et mettant en oeuvre à la fois la constitution du microcosme et les analogies universelles, ils exigent une préparation intellectuelle et un conditionnement psychologique ancrés dans la tradition, sous peine de demeurer inopérants, et surtout d'aller à fin contraire. C'est là que pèchent les protagonistes de tel ou tel yoga qui croient devoir offrir aux gens les moins aptes et les moins avertis, une "voie purement scientifique" et "non-sectaire", "découverte" par d'anciens sages et "dégagée de toute superstition" et de toute "scolastique", c'est-à-dire, en somme, de toute garantie traditionnelle et même de toute raison suffisante. (Sentiers de gnose, p. 62-63).
Pour comprendre certaines erreurs du néo-bhaktisme, ou du néo-hindouisme en général(1), il faut se rappeler que l'opposition "orthodoxie-hétérodoxie" ne coïncide malheureusement pas toujours - il s'en faut de beaucoup, - avec l'opposition "piété-mondanité"; ce paradoxe est un lieu de prédilection pour Satan, car il y a là un terrain fructueux pour toutes sortes de séductions et d'hypocrisies ; c'est, en somme, spéculer trompeusement sur la différence de plan qui sépare la vérité doctrinale et la vertu. Rien n'est plus agréable au malin que les cris d'indignation de l'hérétique contre le vice éventuel de l'orthodoxe, ou la condamnation pharisaïque, par tel orthodoxe ou par tel niveau d'orthodoxie, d'une valeur spirituelle incomprise ; la genèse de l'Occident moderne et la modernisation facile de l'Orient s'expliquent en grande partie par ces oscillations inextricables.
(1) Tel "réformateur" néo-hindou veut "rejeter toutes ces fables de cultes, ces conques que l'on souffle, ces cloches que l'on sonne" et même "tout orgueil de science et d'étude des Shâstras, et toutes ces méthodes pour atteindre la délivrance personnelle..." Mais si les Brahmanes n'avaient pas soufflé des conques pendant des millénaires, vous tous, "réformateurs" de l'Inde, n'existeriez même pas ! (Sentiers de gnose, p. 67).
Une erreur pernicieuse ... et qui semble être un axiome pour les faux gourous d'Orient et d'Occident, est ce que nous pourrions désigner par le terme de "réalisationnisme" : on prétend que seule la "réalisation" importe et que la "théorie" n'est rien, comme si l'homme n'était pas un être pensant, et comme s'il pouvait entreprendre quoique ce soit sans savoir où poser le pied. Les faux maîtres parlent volontiers du "développement d'énergies latentes" ; or on peut aller en enfer avec tous les développements et toutes les énergies qu'on voudra ; mieux vaut en tout cas mourir avec une bonne théorie qu'avec une fausse "réalisation". Ce que les pseudo-spiritualistes perdent trop volontiers de vue, c'est que, selon la maxime des maharadjahs de Bénarès, "il n'y a pas de droit supérieur à celui de la vérité." (Le jeu des masques, p.25, note 7).
... les rationalistes et les fidéistes ne sont pas les seuls adversaires de la Sophia Perennis : un autre opposant - quelque peu inattendu - est ce que nous pourrions appeler le "réalisationnisme" ou "l'extatisme" : à savoir le préjugé mystique - assez répandu dans l'Inde - qui veut qu'il n'y ait que la "réalisation" ou les "états" qui comptent en spiritualité. Les partisans de cette opinion opposent à la "vaine ratiocination" la "réalisation concrète" et s'imaginent trop facilement qu'avec l'extase, tout est gagné ; ils oublient que sans les doctrines - à commencer par le Vedânta ! - ils n'existeraient même pas ; et il leur arrive également de perdre de vue qu'une réalisation subjective - fondée sur l'idée du "Soi" immanent - a grandement besoin de cet élément objectif qu'est la Grâce du Dieu personnel, sans oublier le concours de la Tradition.
Nous devons mentionner ici l'existence de faux maîtres qui, héritiers de l'occultisme et inspirés par le "réalisationnisme" et la psychanalyse, s'ingénient à inventer des infirmités invraisemblables afin de pouvoir inventer des remèdes extravagants. Ce qui logiquement est surprenant, c'est qu'ils trouvent toujours des dupes, et cela même parmi les soi-disant "intellectuels"; l'explication en est que ces nouveautés viennent remplir un vide qui n'aurait jamais dû se produire.
Dans toutes ces "méthodes", le point de départ est
une fausse image de l'homme ; le but de l'entraînement étant le
développement - à l'instar de la "clairvoyance" de certains
occultistes - de "pouvoirs latents" ou d'une personnalité
épanouie ou "libérée". Et puisqu'un tel idéal
n'existe pas - d'autant que la prémisse est imaginaire - le résultat
de l'aventure ne peut être qu'une perversion ; c'est la rançon
d'un rationalisme sursaturé - éclaté à son extrême
limite - à savoir un agnosticisme dépourvu de toute imagination.
(La transfiguration de l'homme, p. 16-17)
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