Science et négation de la Transcendance

Toutes les erreurs sur le monde et sur Dieu résident dans la négation « naturaliste » de la discontinuité (1), donc de la transcendance - alors que c’est sur celle-ci qu’on aurait dû édifier toute la science – soit dans l’incompréhension de la continuité métaphysique et « descendante », laquelle n’abolit en rien la discontinuité à partir du relatif.

(1) C’est plus ou moins ce préjugé « scientiste » – allant de pair avec la falsification et l’appauvrissement de l’imagination spéculative – qui empêche un Teilhard de Chardin de concevoir la discontinuité de force majeure entre la matière et l’âme, ou entre le naturel ou le surnaturel, d’où un évolutionnisme qui – au rebours de la vérité – fait tout commencer par la matière. – Un minus présuppose toujours un plus initial, si bien qu’une apparente évolution n’est que le déroulement tout provisoire d’un résultat préexistant; l’embryon humain devient homme parce qu’il l’est déjà; aucune « évolution » ne fera surgir un homme d’un embryon animal. De même le cosmos entier ne peut jaillir que d’un état embryonnaire qui en contient virtuellement tout le déploiement possible, et qui ne fait que manifester sur le plan des contingences un prototype infiniment supérieur et transcendant. Comprendre l’Islam, p. 129

Il n’est pas étonnant qu’une science issue de la chute — ou de l’une des chutes — et de l’illusoire redécouverte du monde sensible soit aussi la science du seul sensible, ou du virtuellement sensible(2), et qu’elle nie tout ce qui dépasse ce domaine, qu’elle nie par conséquent Dieu, l’au-delà et l’Âme , y compris a fortiori le pur Intellect, qui précisément est capable de connaître tout ce qu’elle rejette ; pour les mêmes raisons, elle nie aussi la Révélation qui, elle, rétablit le pont rompu par la chute. Selon les observations de la science expérimentale, le ciel bleu qui s’étend au-dessus de nous est, non pas un monde de béatitude, mais une illusion d’optique due à la réfraction de la lumière dans l’atmosphère, et à ce point de vue-là, on a évidemment raison de nier que le séjour des bienheureux se trouve là-haut ; mais on aurait grandement tort dénier que l’association d’idées entre le ciel visible et le Paradis céleste résulte de la nature des choses et non de l’ignorance et de la naïveté mêlée d’imagination et de sentimentalité, car le ciel bleu est un symbole direct et partant adéquat des degrés supérieurs — et suprasensoriels —de l’Existence ; il est même une lointaine réverbération de ces degrés, et il l’est forcément du moment qu’il est réellement un symbole, consacré par les Ecritures sacrées et l’intuition unanime des peuples(3). Ce caractère de symbole est si concret et si efficace que les manifestations célestes, quand elles se produisent dans notre monde sensible, «descendent» sur terre et « remontent » au Ciel ; le symbolisme sensible est fonction de la réalité suprasensible qu’il reflète. Les années-lumière et la relativité du rapport espace-temps n’ont absolument rien à voir dans la question — parfaitement « exacte » et « positive » — du symbolisme des apparences et de sa connexion à la fois analogique et ontologique avec les ordres célestes ou angéliques ; que le symbole lui-même puisse n’être qu’une illusion d’optique n’enlève rien à son exactitude ni à son efficacité, car toute apparence, y compris celle de l’espace et des galaxies, n’est à rigoureusement parler qu’une illusion créée par la relativité. Regards sur les mondes anciens, p.45-46.

La science moderne se présente dans le monde comme le principal ou le seul facteur de vérité ; selon ce style de certitude, connaître Charlemagne, c’est savoir combien a pesé son crâne et quelle a été sa taille. Au point de vue de la vérité totale — redisons-le une fois de plus — il vaut mille fois mieux croire que Dieu a créé le monde en six jours et que l’au-delà se situe sous le disque terrestre ou dans le ciel tournant, que de connaître la distance d’une nébuleuse à une autre tout en ignorant que les phénomènes ne font que manifester une Réalité transcendante qui nous détermine de toutes parts et qui donne à notre condition humaine tout son sens et tout son contenu ; aussi les grandes traditions, conscientes de ce qu’un savoir prométhéen mènerait à la perte de la vérité essentielle et salvatrice, n’ont-elles jamais prescrit ni encouragé cette accumulation de connaissances tout extérieures et, en fait, mortelles pour l’homme. On affirme couramment que telle ou telle prouesse scientifique « fait honneur au genre humain », et autres niaiseries de ce genre, comme si l’homme faisait honneur à sa nature autrement qu’en se dépassant, et comme s’il se dépassait ailleurs que dans la conscience d’absolu et dans la sainteté. Regards sur les mondes anciens, p.47-48.

La philosophie scientiste ignore, avec les Présences divines, aussi leurs rythmes ou leur « vie »: elle ignore, non seulement les degrés de réalité et le fait de notre emprisonnement dans le monde sensoriel, mais aussi les cycles, le solve et coagula universel ; c’est dire qu’elle ignore, et le jaillissement de notre monde hors d’une Réalité invisible et fulgurante, et sa résorption dans l’obscure lumière de cette même Réalité. Tout le Réel est dans l’invisible : c’est cela qui devrait être pressenti ou compris avant tout, si l’on veut parler de connaissance et d’efficacité. Mais cela ne sera pas compris, et le monde suivra sa marche, inexorablement. Forme et substance dans les religions p. 68.

Les sens sont une prison qu'il est absurde de vouloir ériger en critère et base de connaissance totale, comme le veut la science moderne. À quoi bon nous donner des renseignements exacts sur les galaxies et les molécules si c'est au prix de la connaissance - infiniment plus réelle et plus importante - de l'Univers total et de notre destinée absolue ? (Forme et substance dans les religions p. 71, note 9.)

Chez l'homme marqué par le scientisme, l'intuition des intentions sous-jacentes a disparu, et non seulement cela : le scientisme, axiomatiquement fermé aux dimensions supra-sensibles du Réel, a doté l'homme d'une crasse ignorance et a faussé l'imagination en conséquence. La mentalité moderniste entend réduire les anges, les démons, les miracles, bref, tous les phénomènes non matériels et inexplicables en termes matériels, à du "subjectif" et du "psychologique", alors qu'il n'y a pas le moindre rapport, si ce n'est que le psychisme est lui aussi - mais objectivement - fait de substance extra-matérielle...(Forme et substance dans les religions p. 203.)

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