Science et RévélationsSi c'est la science moderne qui a créé les conditions anormales et décevantes dont souffre la jeunesse, c'est que cette science est elle-même anormale et décevante; on nous dira sans doute que l'homme n'est pas responsable de son nihilisme, que c'est la science qui a tué les dieux, mais c'est là un aveu d'impuissance intellectuelle et non un titre de gloire, car celui qui sait ce que signifie les dieux ne se laissera pas désarçonner par des découvertes physiques — lesquelles ne font que déplacer les symboles sensibles mais ne les abolissent pas (1) — et encore moins par des hypothèses gratuites et des erreurs de psychologie. L'existence est une réalité comparable, à certains égards, à un organisme vivant; elle ne se laisse pas réduire impunément, dans la conscience des hommes et dans leurs façons d'agir, à des mensurations qui violent sa nature; les pulsations de l' "extra-rationnel"(2) la traverse de toutes parts. Or c'est à cet ordre "extra-rationnel", dont nous constatons partout la présence autour de nous si nous ne sommes pas aveuglés par un parti pris de mathématicien, — c'est à cet ordre qu'appartient la religion et tout autre forme de sagesse(3); vouloir traiter l'existence comme un réalité purement arithmétique et physique, c'est la fausser par rapport à nous et en nous-mêmes, et c'est finalement la faire éclater. [Comprendre l'Islam, p. 133-134].
La science, diront certains, a montré depuis longtemps l’inconsistance des Révélations, dûes — paraît-il — à nos nostalgies invétérées de terriens craintifs et insatisfaits [et incurablement sots, ajouterons-nous, si l’hypothèse était vraie]; il n’est pas besoin d’y répondre encore une fois ..., mais nous voudrions néanmoins saisir cette occasion pour ajouter une image de plus à de précédents tableaux. Il faut se représenter un ciel d’été plein de bonheur, puis des hommes simples qui le regardent en y projetant leur rêve de l’au-delà; ensuite, il faut imaginer qu’il serait possible de les amener dans le gouffre noir et glacial — au silence écrasant — des galaxies et des nébuleuses. Un trop grand nombre y perdraient leur foi; c’est exactement ce qui se passe à la suite de la science moderne, chez les savants comme chez les victimes de la vulgarisation. Mais ce que nous voulions surtout relever ici, c’est l’erreur qui consiste à croire que la « science » possède, du simple fait de ses contenus objectifs, le pouvoir et le droit de détruire mythes et religions, que c’est donc une expérience supérieure qui tue les dieux et les croyances; en réalité, c’est l’incapacité humaine de comprendre des phénomènes inattendus et de résoudre certaines antinomies apparentes, qui étouffe la vérité et déshumanise le monde. Comprendre l’Islam, p. 135. S'il n’ y a pas lieu de blâmer la science moderne en tant qu’elle étudie tel domaine dans les limites de sa compétence, - l’exactitude et l’efficacité de ses résultats en font foi, - il faut ajouter cette réserve importante : le principe, l’étendue, le développement d’une science ou d’un art est fonction de la Révélation et des exigences de la vie spirituelle, sans oublier celles de l’équilibre social ; il est absurde de revendiquer des droits illimités pour une chose en soi contingente, telle que la science ou l’art. En n’admettant aucune possibilité de connaissance sérieuse en dehors de son propre fief, la science moderne, nous l’avons dit, revendique la connaissance exclusive et totale, tout en se voulant empiriste et adogmatique, ce qui, répétons-le également, est une contradiction flagrante ; rejeter tout « dogmatisme » et tout « apriorisme », c’est simplement ne pas se servir de toute son intelligence. Regards sur les mondes anciens, p.43-44. De l’avis de la plupart de nos contemporains, la science expérimentale se justifie par ses résultats, qui sont en effet éblouissants à un certain point de vue fragmentaire, mais on perd volontiers de vue, non seulement le fait qu’en définitive les mauvais résultats l’emportent sur les bons, mais aussi la dévastation spirituelle que comporte le scientisme a priori et par sa nature même, dévastation que les résultats positifs – toujours extérieurs et partiels – ne sauraient compenser. En tout état de cause, c’est presque de la témérité, de nos jours, d’oser rappeler la parole la plus oubliée du Christ : « Que sert-il à l’homme de gagner le monde entier s’il vient à perdre son âme ? ». [Retour]
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